• Saint Jerome a Paula et a Eustochia sur l'epitre aux Galates

    En 387 saint Jerome écrit a Paula et Eustochia sur son commentaire fait a l'épître de saint Paul aux Galates. (http://www.clerus.org/bibliaclerusonline/es/frk.htm#j)

    1) Mort de la vénérable Albina. — Commentaires d'Origène. — Ses Stromates. — Grand nombre d'ouvrages sur l'épître de saint Paul aux Galates. — Attaques de Porphyre au sujet de la conduite contradictoire de saint Pierre et de saint Paul. — Abolition des cérémonies judaïques par la nouvelle loi. 

    2) Saint Jérôme blâme les prédicateurs de son temps de leurs prétentions oratoires. — Il parle des infirmité, qui nuisent à ses travaux. — Devoir du commentateur. — Discrédit d'Aristote et de Platon depuis la promulgation de l'Évangile. — Simplicité de la parole évangélique

    3) Nombreuses hérésies en Galatie. — Le grec, langue parlée dans tout l’Orient . — L’idiome des Galates semblable à celui des habitants de Trêves. — Décadence de la langue latine.

     

    1) Peu de jours se sont écoulés depuis qu'ayant terminé mes éclaircissements sur la lettre de Paul à Philémon , je me décidai à passer à sa lettre aux Galates, laissant dans l'intervalle beaucoup de choses en arrière, lorsqu'il m'arriva tout à coup des lettres de Rome, m'annonçant que la vieille et vénérable Albina était retournée dans le sein de Dieu, et que Marcella la sainte avait été expulsée de la maison maternelle. C'est maintenant, ô Paula ! ô Eustochia ! c'est maintenant que je sens le besoin de vos consolations. Et puisque notre séparation, par des espaces immenses de terre et de mer, me les interdit momentanément, j'ai voulu appliquer sur-le-champ à la blessure que je venais de recevoir le baume salutaire des saintes Ecritures. Je n'ignore point, il est vrai, la ferveur de son zèle (de Marcella) ; sa grande foi m'est connue ; je sais la vivacité de la flamme dont son coeur est embrasé; je sais qu'elle est au-dessus de son sexe; que l'oubli des hommes est une de ses vertus; je sais qu'elle est prête au roulement du tambour des saintes Ecritures, pour parler un langage figuré, je sais qu'elle est prête à traverser la mer Rouge de ce siècle. Certes, quand je me trouvais Rome elle n'était jamais si heureuse que lorsqu'elle pouvait me questionner sur les saintes Ecritures. Et contrairement aux disciples de Pythagore, elle n'approuvait point en aveugle toutes les réponses que je lui faisais, et mon autorité ne prévalait dans son esprit qu'après l'examen de sa raison; elle approfondissait toute question, et dans toutes ses appréciations elle faisait preuve de sagacité ; aussi la considérais-je plutôt comme un juge que comme un élève. Je pense donc bien mériter de Marcella absente, et de vous qui l'êtes aussi présentement, en entrant dans un domaine où nul des écrivains de notre langue ne s'est avisé de pénétrer, et que peu d'auteurs grecs ont exploré , malgré l'importance du sujet. Je n'ignore point qu'un certain Caius Marius Victorinus, qui enseigna aux jeunes Romains les principes de la rhétorique, écrivit des commentaires sur l'Apôtre; mais par cela même que l'enseignement des lettres mondaines l'occupait spécialement, son ignorance des saintes Ecritures ne peut être mise en doute; d'ailleurs n'est-il point de toute évidence que personne ne peut, ex professo, traiter un sujet qu'il ignore, quoique ce même sujet puisse lui servir de texte pour d'éloquentes divagations? Suis-je donc insensé et téméraire, moi qui promets ce qu'il n'a pu tenir? Je n'en crois rien. J'ai été d'autant plus timide et d'autant plus prudent en cette occasion que, sentant l'insuffisance de mes forces, j'ai résolu de me guider par les commentaires d'Origène; cet auteur a laissé cinq volumes de commentaires sur la lettre de Paul aux Galates. Il a rempli en outre le dixième livre de ses Stromates d'un discours fort et concis, consistant en éclaircissements sur la lettre précitée. Il a composé, de plus, différents traités et morceaux choisis, qui seuls, à la rigueur, pourraient nous suffire. Je passe Dydime, Laodicenus, tout récemment sorti du giron l'Eglise ; Alexandre , l'ancien hérétique; Eusèbe d'Emésène , Théodore d'Héraclée , tous ont écrit sur ce sujet des fragments de commentaires. Si je faisais un choix au milieu de tous ces ouvrages, on pourrait bien ne point le dédaigner. Je dois avouer, dans la simplicité de mon coeur, que cela m'est passé sous les yeux, et que m'en appropriant une notable partie j'ai fait venir un secrétaire qui a écrit sous ma dictée, et comme cela se présentait, les recherches d'autrui et les miennes propres ; je n'ai retenu, du reste, ni l'ordre de distribution, ni les termes. ……

    Tout en indiquant brièvement le sujet de cette lettre ici, nous devons annoncer que l’épître de Paul aux Galates, et celle qu'il adresse aux Romains, sont absolument sur le même sujet ; mais elles diffèrent en cela que l'une se distingue par un sens plus profond et des arguments d'une bien plus grande portée….

    Il n'est aucun discours de l'Apôtre, soit parlé, soit en forme de lettres, où il ne prenne à tâche d'enseigner l'abolition des prescriptions sévères de l'ancienne loi; de tout ce qui était resté d'observance religieuses en cérémonies et en figures, comme le repos du sabbat, la circoncision, la célébration du retour des calendes et de trois autres solennités par année; le choix des mets, les deux bains de rigueur prescrits quotidiennement; toutes pratiques abolies par l'Évangile. Ce n'est point le sang des victimes, mais la pureté de la foi, qui nous rend méritants dans l'esprit du livre saint. Dans une autre occasion cette question s'étant offerte à Paul, discourant sur un autre sujet, on s'échauffa tellement de part et d'autre qu'on faillit en venir aux mains. Dans ces deux lettres se dessinent parfaitement, comme j'ai eu occasion de le dire, l'abolition de l'ancienne loi et l'introduction de la nouvelle. Celle qu'il adresse aux Galates a cela de particulier qu'il n'y parle point à ceux qui avaient reçu des Juifs leur croyance en Jésus-Christ, et qui regardaient comme nécessaire l'observation des cérémonies anciennes, mais à ceux que les Gentils avaient convertis à l'Évangile, et qui, s'écartant de nouveau du véritable culte, s'en étaient laissé imposer par les affirmations hétérodoxes de ceux qui prétendent que Pierre, Jacques et toutes les Eglises de Judée avaient mêlé les prescriptions de l'Évangile avec celles de l'ancienne loi. Aussi Paul change-t-il de langage selon qu'il prêche en Judée ou chez les autres nations. En s'adressant à ces dernières, il ne manque pas de leur dire qu'elles croiraient en vain au Christ si elles négligeaient ce que les apôtres recommandaient.

    C'est pour cela qu'il marche prudemment et à égales distances entre deux voies opposées, afin que tout en s'inclinant devant l'autorité et la valeur des traditions, il ne méconnaisse point l'autorité de l'Évangile, et que tandis qu'il se fait l'apologiste de la grâce, il ne soit pas le détracteur de l'enseignement des apôtres. C'est ainsi qu'il s'avance par des voies prudentes et comme par des chemins couverts; si donc il enseigne que Pierre fit pratiquer la circoncision au peuple qui lui était confié, c'est afin, dira-t-il, de ne point blesser dans ses moeurs le peuple qu'il veut convertir, et pour lui faire croire plus facilement au scandale de la croix; s'il annonce le contraire aux Gentils, il dira qu'il avance, dans l'intérêt de la vérité, ce qu'il niait ailleurs dans l'intérêt de la vraie foi. C'est ce que ne voulaient point comprendre Bataneotes et ce misérable Porphyre ; c'est pour cela que ce dernier, dans le premier livre de l’ouvrage qu'il a dirigé contre nous, n'a point manqué de signaler cette divergence de doctrine (entre Pierre et Paul). Mettant une mauvaise foi évidente dans sa manière d'interpréter l'Évangile, il s'efforça de prouver que l'un avait erré, tandis que l'autre avait fait preuve d'une hardiesse répréhensible; et tandis que les principaux membres de l'Église se disputaient entre eux, il les accusait en masse d'avoir forgé un dogme à leur guise.

    Nous avons abordé, à votre prière, ces divers points, et nous vous avons montré la légèreté de certains jugements. Plus tard, et en son lieu, nous approfondirons cette matière.

     

    2) Dans ce troisième volume, Paula et Eustochia, nous allons poursuivre nos commentaires sur l'épître aux Galates: nous ne nous dissimulons plus l'insuffisance de nos forces; nous savons que le ruisseau déjà si faible de notre intelligence s'écoule avec un murmure de moins en moins distinct. Nous voyons avec peine que les recherches de l'éloquence commencent à envahir les chaires de nos Eglises; que, négligeant la simplicité et la vérité de l'expression affectionnées par les apôtres, nos docteurs s'expriment comme s'ils parlaient dans un athénée et devant un auditoire choisi, et comme s'ils voulaient enlever les applaudissements des fidèles. Nous déplorons que l'art pernicieux des rhéteurs, de cet art qui s'appuie sur le sophisme, se produise devant tous comme une vile courtisane, moins dans le but d'enseigner les peuples que dans celui de capter leurs suffrages et afin de charmer, comme le psaltérion et la flûte mélodieuse, les sens des auditeurs ; de telle sorte que les paroles du Seigneur au prophète Ezéchiel peuvent fort bien s'appliquer à notre temps : "Et tu as été pour eux comme le son d'une cithare harmonieuse et bien accordée; ils écoutaient tes enseignements, mais pour ne pas les suivre."

    Que faire donc? se taire... Mais il est écrit : "Tu ne te présenteras pas devant le Seigneur sans être chargé de bonnes oeuvres." Et Isaïe, selon le texte hébreu, s'écrie en gémissant: "Malheur à moi, parce que je me suis tu." Parler? Mais la lecture des livres hébreux fait oublier toutes les grâces, toute l'élégance de la diction et de l'élocution latine. Vous savez vous-même que depuis quinze ans je n'ai ouvert ni Cicéron, ni Virgile, ni un auteur quelconque de la littérature profane; et s'il se glisse dans mes écrits quelques réminiscences de ces modèles, c'est comme le souvenir vague d'un songe évanoui. Je laisse à juger aux autres quels fruits j'aurais tirés de l'étude approfondie de cette langue; pour moi, je sais ce que j'y aurais perdu. Puis je ne puis écrire moi-même à cause de la faiblesse de ma vue et de toute ma pauvre machine. Par mon zèle et mon ardeur au travail, je ne puis racheter la lenteur de ma composition; car je procède un peu à la manière de Virgile, qui, dit-on, perfectionnait ses oeuvres en les léchant sans cesse, comme l'ours ses petits.

    Il me faut donc employer un secrétaire et lui dicter sans interruption ce qui me vient à la pensée ; autrement, c'est-à-dire si je veux prendre le temps de la réflexion , dans l'espoir de trouver quelque chose de meilleur, son silence m'avertit, et il s'impatiente, il fronce le sourcil et m'annonce, par sa pantomime, que sa plume est oisive. Qu'une composition liué raire, produit d'un esprit solide, soit remarquable d'invention et conçue en termes fleuris, jamais elle n'acquiert, à moins que l'auteur ne l'ait polie lui-même, cette profondeur qui est jointe à l’élégance; mais, comme il arrive parfois aux riches cultivateurs, elle est plutôt chargée de ses richesses qu'elle n'en est ornée. Pourquoi tous ces préambules? A cette seule fin que vous et ceux qui s'aviseront de me lire n'aillent pas s'imaginer que je fais ici un panégyrique ou de la controverse, mais bien des commentaires; c'est-à-dire que j'écris, non pour m'attirer des éloges, mais afin de faire comprendre à tous ce qui a été dit par un autre, et comment cela a été dit. Mon devoir de commentateur est d'éclaircir les passages obscurs, de mettre en relief ce qui est clair, et de m'abstenir dans le doute. C'est pourquoi l'oeuvre du commentateur a été appelée explication. Pour ceux qui recherchent les grands effets d'éloquence, qui se complaisent dans les déclamations, ils peuvent choisir, dans deus langues différentes, de Démosthène ou de Cicéron, de Polemon ou de Quintilien.

    Un auditoire chrétien n'est point celui d'une académie et d'un lycée; il se compose du peuple. C'est pourquoi l'Apôtre nous dit: "Considérez, mes frères, qui sont ceux d'entre vous qui ont été appelés à la foi. Il y a peu de sages selon la chair, peu de puissants et peu de nobles; mais Dieu a choisi les moins sages, selon le monde, pour confondre les sages; il a choisi les faibles, selon le monde, pour confondre les forts. Il a choisi les plus vils et les plus misérables, selon le monde, et ce qui n'était rien pour détruire ce qu'il y a de plus grand."

    La sagesse n'ayant pas ouvert les yeux du monde, et n'ayant pu lui faire reconnaître Dieu, dans l'ordre, dans la variété et dans l'harmonie de ses créations, il plut à Dieu de sauver les hommes de foi par la folie de la prédication. S'il n'employa pas la sagesse de la parole, c'est afin que la croix ne fût pas privée du Sauveur. Qu'ont fait les sages, les rhéteurs, les scrutateurs des phénomènes naturels? Le monde a été sauvé, non par l'éloquence persuasive de la sagesse humaine, mais par la manifestation de la vertu et de l'inspiration divine; afin de faire voir que la foi des vrais croyants n'est point dans la sagesse des hommes, mais dans la vertu de Dieu. C'est dans cet esprit que l'Apôtre disait aux Corinthiens : "Et moi, mes frères, lorsque je suis venu à vous pour vous annoncer le témoignage de Jésus-Christ, je ne suis point venu avec les discours élevés d'une éloquence et d'une sagesse humaine. Car je n'ai point fait profession parmi vous de savoir autre chose que Jésus-Christ est Jésus-Christ crucifié." Et pour qu'il ne vous vienne pas à l'esprit qu'en vous parlant ainsi je me fais l'écho de la folie, voici ce que Paul, avec la sagacité d'un esprit prévoyant, répond d'avance à une objection semblable . "Mais nous prêchons la sagesse de Dieu dans son mystère; sagesse qui était demeurée cachée et qu'aucun des princes de ce monde n'a connue." Combien trouve-t-on maintenant de lecteurs d'Aristote ? combien de lecteurs de Platon? Combien de gens à qui le nom de ce dernier n'est pas même connu? C'est à peine si quelques vieillards oisifs les parcourent. Quant aux apôtres, ces grossiers campagnards, ces pauvres pêcheurs, le monde entier s'en occupe et leurs noms sont dans toutes les bouches. Aussi est-ce dans le langage le plus simple qu'on doit exposer leurs paroles si simples; leurs paroles, dis-je, et non le sens intime de ces paroles. Du reste si, à votre prière, je puis parvenir, en commentant les saintes épîtres, à me pénétrer de l'esprit qui les dicta; de même que vous voyez l'orgueil et la vanité former l'apanage des écrivains de notre époque, de même vous verrez briller dans ces sublimes auteurs la grandeur et la majesté de la véritable sagesse. Pour vous dire en peu de mots ma façon de penser tout entière, je ne veux pas que mes écrits soient d'une difficile intelligence pour ceux qui y auront recours, afin de mieux comprendre l'Apôtre; je ne veux point qu'ils soient obligés, pour m'entendre, de réclamer le secours d'un autre interprète.

     

    3) Ma tâche serait longue si, après l'Apôtre et les saintes Ecritures, J'essayais de signaler les vices ou les vertus de chaque nation. Quoi qu'il en soit, nous voilà parvenus à la démonstration de cette proposition; à savoir que les Galates se sont toujours fait remarquer par leur folie et leur mauvais naturel. Quiconque a visité Ancyre, leur métropole, sait comme moi par combien de schismes elle a été divisée et souillée, jusqu'à nos jours. Il me suffira de citer les Cataphryges, les Ophites, les Lorborites et les Manichéens. Nous commençons à connaître les noms de ces fléaux de l'humanité. Mais qui jamais, dans aucune partie de l'empire romain, a entendu parler des Passaloryncites, des Ascodrobes, des Artotyrites, et autres sectes plus nombreuses que les dénominations diverses qu'on peut leur appliquer? Les traces de ces antiques aberrations se sont conservées jusqu'à nos jours. En résumé, nous nous contenterons de dire, comme nous l'avons fait au commencement, que les Galates, à l'exclusion de la langue grecque parlée dans tout l'Orient, se seraient d'un idiome qui avait avec celui des habitants de Trèves une analogie frappante et presque complète. Nous ne chercherons pas à savoir s'il se corrompit par la suite; ce qu'il y a de certain, c'est que les Africains firent subir d'assez importantes modifications à la langue phénicienne, et que notre latinité elle-même se transforme tous les jours sous l'influence des lieux et des temps divers.


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